Mathieu Lévesque

«Une bonne dentition», Mathieu Lévesque, 2025.

Errances et distorsions: entre l’humeur de Garfield et le charme d’Albi le Géant

Mathieu LÉVESQUE (Montréal)

Exposition

Du 24 juillet 2025 au 26 septembre 2025

Salle principale, Vitrine

Vernisage le 26 septembre 2025, 17:00

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Centrée sur l’ambiguïté entre maîtrise technique et lâcher-prise instinctif, la pratique picturale de Mathieu Lévesque interroge les relations entre l’œuvre peinte et son environnement immédiat. Il explore en particulier le rapport de dépendance structurelle qui lie la peinture au mur, questionnant ainsi les conventions de présentation et d’autonomie du tableau. Au-delà de cette problématique théorique, son travail, marqué par un éclectisme stylistique allant du graffiti au minimalisme, aborde des thématiques plus larges telles que la condition humaine et le passage du temps.

Bien que cette série récente s’inscrive dans la continuité du dispositif rythmique élaboré dans Les Parulines (2022–2023), elle s’en démarque par une volonté de retour aux sources. L’artiste y réinvestit des figures issues de la culture populaire, éléments qui avaient fortement influencé sa production antérieure à 2010, réaffirmant ainsi une dimension autobiographique et référentielle au sein de sa démarche.

Lévesque a conçu les œuvres de cette exposition comme des microcosmes visuels d’où émergent des fragments de pensées imprécises. Ces espaces ont été alimentés autant par des souvenirs que par le flux d’images issu du web qui perturbe le processus créatif, notamment lors des périodes de procrastination. Pour élaborer ce corpus volontairement ambigu dans son apparente désinvolture, l’artiste s’approprie des images, des emblèmes et des expressions issues de sphères culturelles variées : industries de la musique, de la publicité, du sport, monde de l’art, culture hip-hop, métal et punk, univers fantastique, ou encore références politiques. Il intègre également des éléments plus subversifs, dont la légitimité intellectuelle demeure incertaine, tels que les mèmes, graffitis, symboles associés à des milieux interlopes ou encore le fan art.

Ces représentations iconiques, bien que dessinées, sont intentionnellement altérées par des erreurs de reproduction. Elles se déploient sans hiérarchie à la fois sur les tableaux, qui scandent l’espace de l’exposition et sur des murales qui soulignent les limites architecturales de la galerie. Disposées selon une séquence répétitive, ces shaped canvas en forme de parallélogrammes sont dotées d’une géométrie qui accentue l’effet de rythme visuel.

Cependant, une lecture approfondie révèle la complexité et l’opacité de ces compositions. Chacune se construit à partir de trois strates visuelles superposées qui se parasitent les unes les autres : la forme géométrique spécifique du support, un ensemble d’icônes dessinées, et enfin une surface transparente et abstraite réalisée par lavis et tâches. La cohabitation de ces couches, plus ou moins harmonieuse, engendre un effet de glitch, une interférence optique traduisant un état psychique perturbé – une sorte de confusion mentale.

Ainsi, ces tableaux se caractérisent par une saturation sémantique où le langage pictural, en se complexifiant, devient lui-même un obstacle à l’interprétation.

L’usage du glitch par l’artiste, à la croisée de l’abstraction et de l’appropriation de symboles iconiques, révèle une réflexion d’ordre social. Ses shaped canvas abstraits instaurent un jeu, à la fois visuel et mental, entre la perception et la distorsion. En intégrant des icônes culturelles à son œuvre, Lévesque remet en question l’authenticité de sa propre création artistique, en la confrontant à des représentations déjà investies de sens.

La cohabitation, dans ses compositions, d’icônes subversives et populaires, sans interaction explicite entre elles, incarne un paradoxe en résonance avec la pensée de Gilles Lipovetsky sur l’individualisme contemporain. Ce dernier identifie l’authenticité comme une valeur emblématique du XXIe siècle – qu’il qualifie de siècle anxieux, désormais galvaudé par une société valorisant l’extraversion et la reconnaissance publique comme critères de légitimité (cf. Le sacre de l’authenticité). Dans ce contexte, l’authenticité devient une norme partagée — voire une performance sociale, médiatique — au même titre que la street cred ou la revendication de l’anticonformisme, paradoxalement devenu lui-même un phénomène de mode.

La valeur attribuée à l’individu, et par extension à l’artiste se trouve ainsi corrélée à son capital social et à sa capacité à s’inscrire dans un système de visibilité extravertie. Cette dynamique engendre une dépréciation implicite des personnalités introverties ou anxieuses, dont la participation à la sphère sociale est entravée. Cette anxiété affecte également le processus créatif, induisant une posture désabusée, voire misanthropique, face à la pratique artistique comme à l’existence elle-même.

En réunissant dans une même œuvre des référents symboliques tant anonymes que célèbres, Lévesque cherche à mettre en lumière la condition des « seconds violons » — ces figures reléguées à l’arrière-plan, en quête de modèles (ici surtout masculins) et d’une reconnaissance qui se voudrait salvatrice. Son travail interroge ainsi les mécanismes de légitimation sociale et artistique dans une société obsédée par la visibilité et le succès.

L’artiste tient à remercier Amélie Riendeau, Jeanne et Pauline, l’équipe de Langage Plus ainsi que tous les auteurs anonymes des mèmes disponibles sur l’internet.

L’ARTISTE

Crédit: Jinny Montpetit.

BIOGRAPHIE

Mathieu LÉVESQUE (né en 1977) est membre actif de la communauté artistique en tant que peintre, sculpteur, professeur, commissaire, membre de différents jurys, peintre scénique et graffiteur. Ses recherches interrogent les relations entre l’œuvre peinte et son environnement immédiat. Il explore en particulier le rapport de dépendance structurelle qui lie la peinture au mur, questionnant ainsi les conventions de présentation et d’autonomie du tableau. Son travail, marqué par un éclectisme stylistique allant du graffiti au minimalisme, aborde également des thématiques plus larges telles que la condition humaine et le passage du temps.

Depuis vingt ans, ses œuvres ont été exposées au Québec, au Canada, aux États-Unis, en Allemagne et en Belgique, dans des galeries et institutions telles que la Galerie Trois Points, la Galerie de l’UQÀM, Lilian Rodriguez, PUSH, Robertson Arès (Montréal), la Galerie a (Québec), PM Gallery (Toronto), Occurrence, Plein sud, B-312, Regart, L’écart, Circa, Verticale, GRAVE, plusieurs maisons de la culture, le MNBAQ, le MAC des Laurentides, le Musée des Beaux-Arts de Mont-St-Hilaire, le Hunter Museum of American Art (Chattanooga, TN), la Glass Curtain Gallery (Chicago), chez Sera Davis (Nashville), au Halle 14 (Leipzig), n.w.w.n.n.l.n.o. (Bruxelles). Il prit part aux foires Volta Art Fair (New York), The Artist Project (Chicago), Papier (Montréal), TIAF et Feature (Toronto) et FAAQ (Québec). Ses œuvres d’art public se trouvent notamment à l’hôtel de ville de Montréal, à l’Université du Québec à Montréal, à la station de métro McGill (STM) et au Circuit Gilles-Villeneuve. 

Il vit et travaille à Montréal et est présentement professeur au Département d’arts visuels du Cégep de Saint-Hyacinthe.

DÉMARCHE ARTISTIQUE

Les recherches de Mathieu LÉVESQUE explorent l’ambiguïté entre le savoir-faire et le laisser-faire du peintre, tout en jouant avec les dimensions physiques et optiques du tableau. À la base de son travail, chaque geste – singulier et récurrent – devient générateur de style, de palette puis d’œuvre. Avec humour, il s’amuse à perturber les étapes classiques de création ainsi que les éléments fondamentaux de la peinture, afin de mettre en lumière sa matérialité, les traces du processus de fabrication et son inscription dans l’espace. Ses influences sont éclectiques, allant du graffiti au minimalisme, de la culture populaire à l’univers animal. Il aborde des thèmes sous-jacents tels que la nature humaine et la temporalité de l’œuvre picturale

Ses tableaux témoignent souvent d’actions survenues au-delà de leur surface propre. Cet intérêt pour les phénomènes internes et externes à l’œuvre l’a mené à intégrer des stratégies empruntées à la sculpture pour aborder des enjeux proprement picturaux. Sa démarche, fondée avant tout sur l’action et la valorisation du processus, confère ainsi une dimension sculpturale à sa peinture.

Bien qu’il s’attarde principalement aux possibilités processuelles, optiques et matérielles du médium pictural, il réfléchit aussi aux liens contextuels entre la peinture, la sculpture et l’architecture. Cette fascination pour les éléments fondamentaux de ces disciplines et pour leur insertion dans l’espace bâti l’incite à en repousser les limites, tout en en révélant les particularités esthétiques et spatiales. Il s’interroge sur ce qui se joue – ou pourrait se jouer – au-delà des frontières de l’œuvre, jusqu’à son expansion dans l’environnement.

Ainsi, il cherche à faire en sorte que l’espace optique de ses œuvres déborde leur cadre physique. Ce brouillage, ce lien entre l’œuvre et son environnement immédiat, lui permet de souligner, entre autres, la dépendance de la peinture à son mur de présentation, tout comme celle de la sculpture à son socle.

Depuis quelques années, l’intégration de ses œuvres à l’architecture est devenue un aspect important de sa pratique. Elles ne peuvent exister indépendamment de leur support physique, auquel elles demeurent fondamentalement liées.


ENG version

Errances et distorsions: entre l’humeur de Garfield et le charme d’Albi le Géant

(Wanderings and Distortions: Between Garfield’s Mood and the Charm of Albi the Giant)

Rooted in the ambiguity between technical mastery and instinctive release, Mathieu LÉVESQUE’s pictorial practice probes the relationship between the painted work and its immediate environment. He specifically explores the structural dependency that binds painting to the wall, thereby questioning conventional modes of display and the autonomy of the pictorial object. Beyond this theoretical inquiry, his work—marked by a stylistic eclecticism ranging from graffiti to minimalism—addresses broader themes such as the human condition and the passage of time.

While this recent series builds upon the rhythmic system developed in Les Parulines (2022–2023), it distinguishes itself through a conscious return to origins. The artist re-engages with figures drawn from popular culture—motifs that profoundly shaped his pre-2010 production—thus reaffirming the autobiographical and referential dimensions of his practice.

LÉVESQUE conceived the works in this exhibition as visual microcosms from which indistinct fragments of thought emerge. These spaces are nourished as much by memory as by the endless stream of online imagery that infiltrates the creative process, particularly in moments of procrastination. To craft this corpus—intentionally ambiguous in its apparent casualness—the artist appropriates imagery, emblems, and expressions from a wide array of cultural spheres: the music, advertising, and sports industries, the art world, hip-hop, metal and punk subcultures, the realm of fantasy, and even political iconography. He also incorporates more subversive elements of uncertain intellectual legitimacy, such as memes, graffiti, symbols associated with fringe communities, and fan art.

These iconic representations, although drawn by hand, are deliberately distorted through reproduction errors. They unfold without hierarchy, both across the paintings—punctuating the exhibition space—and on murals that emphasize the architectural limits of the gallery. Arranged in a repetitive sequence, the parallelogram-shaped canvases possess a geometry that heightens the overall visual rhythm.

However, a closer reading reveals the complexity and opacity of these compositions. Each is constructed from three superimposed visual layers that interfere with one another: the specific geometric shape of the support, a network of hand-drawn blue icons, and a transparent, abstract surface created through washes and stains. The coexistence of these layers—at times discordant—generates a glitch effect, an optical interference that translates a disturbed psychic state, a kind of mental dissonance.

As such, these paintings are marked by semantic saturation, where the pictorial language, in its increasing complexity, becomes itself an obstacle to interpretation.

LÉVESQUE’s use of glitch, at the intersection of abstraction and the appropriation of iconic symbols, reveals an underlying social critique. His shaped abstract canvases establish a play—both visual and psychological—between perception and distortion. By integrating cultural icons into his work, LÉVESQUE questions the authenticity of his own artistic production by confronting it with pre-loaded representations.

The coexistence, within his compositions, of both subversive and mainstream icons—without explicit interaction between them—embodies a paradox that resonates with Gilles Lipovetsky’s reflections on contemporary individualism. Lipovetsky identifies authenticity as a hallmark value of the 20th century—a century of anxiety—now diluted in a society that prizes extroversion and public recognition as markers of legitimacy (cf. The Worship of Authenticity). In this context, authenticity becomes a shared norm—indeed, a social and media performance on par with street cred or the performance of nonconformity, which paradoxically has become a trend in itself.

The value attributed to the individual—and by extension, to the artist—is thus increasingly tied to their social capital and capacity to function within a system of extraverted visibility. This dynamic leads to an implicit devaluation of introverted or anxious personalities, whose engagement in the public sphere is hindered. Such anxiety seeps into the creative process itself, producing a disenchanted, even misanthropic posture towards both artistic practice and existence.

By bringing together symbolic references—both anonymous and iconic—within a single work, LÉVESQUE seeks to shed light on the condition of the “second fiddles”: those relegated to the margins, in search of models (especially male) and a recognition perceived as redemptive. His work thus interrogates the mechanisms of social and artistic legitimation within a society obsessed with visibility and success.

The artist wishes to thank Amélie Riendeau, Jeanne and Pauline, the team at Langage Plus, as well as all the anonymous authors of memes available online.

BIOGRAPHY

Mathieu LÉVESQUE (b. 1977) is an active member of the arts community as a painter, sculptor, teacher, curator, jury member, scenic painter and graffiti artist. His research focuses on the relationship between the painted object and its immediate environment, especially the structural dependency that links painting to the wall—challenging established ideas around display and artistic autonomy. His work, marked by stylistic eclecticism, spans graffiti, minimalism and broader themes exploring the human condition alongside the passage of time.

For over twenty years, his work has been exhibited across Quebec, Canada, the United States, Germany and Belgium, in galleries and institutions such as Galerie Trois Points, Galerie de l’UQAM, Lilian Rodriguez, PUSH, Robertson Arès (Montreal), Galerie a (Quebec), PM Gallery (Toronto), Occurrence, Plein sud, B-312, Regart, L’Écart, Circa, Verticale, GRAVE, numerous Maisons de la culture, the MNBAQ, the MAC des Laurentides, the Musée des beaux-arts de Mont-Saint-Hilaire, the Hunter Museum of American Art (Chattanooga, TN), the Glass Curtain Gallery (Chicago), Sera Davis Gallery (Nashville), Halle 14 (Leipzig), and n.w.w.n.n.l.n.o. (Brussels). He has participated in art fairs such as Volta (New York), The Artist Project (Chicago), Papier (Montreal), TIAF, Feature (Toronto), and FAAQ (Quebec). His public artworks can be found at Montreal City Hall, the Université du Québec à Montréal, McGill Metro Station (STM) and the Circuit Gilles-Villeneuve.

He lives and works in Montreal and currently teaches in the Visual Arts Department at the Cégep de Saint-Hyacinthe.

ARTISTIC APPROACH

Mathieu LÉVESQUE’s research probes the tension between painterly control and spontaneity while exploring both the physical and optical dimensions of the canvas. At the core of his practice, each gesture, singular yet recurring, becomes the seed of a style, a palette, a painting. With a dab of humour, he disrupts the traditional steps of creation and the fundamental elements of painting, highlighting its materiality, the traces of its making and its presence in space. His influences are wide-ranging from graffiti to minimalism, popular culture to the animal world. Underneath it all lie questions of human nature and the temporality of the pictorial work.

His paintings often carry the imprint of forces that extend beyond their surface. This attention to what unfolds both within the artwork and in its surrounding space has led him to adopt sculptural strategies that push the boundaries of painting. Though grounded in action and process, his work takes on a sculptural quality, challenging the painting’s objecthood and expanding its field of operation.

While primarily invested in the processual, optical and material possibilities of painting, he is equally drawn to its contextual ties with sculpture and architecture. This enduring fascination with the structural foundations of those disciplines and their embeddedness in the built environment compels him to test their limits while revealing their spatial and aesthetic properties. He reflects on what occurs or might occur beyond the artwork’s frame, reaching outward into its environment.

In this way, the optical space of his paintings often spills beyond their physical edges. This visual bleed anchors his work in its context, revealing the painting’s dependence on its wall just as sculpture relies on its pedestal.

In recent years, architectural integration has become central to his practice. His works cannot exist independently of their physical support. They remain fundamentally connected to the surfaces that host them.

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